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Rien à dire? Crions !
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9 septembre 2008

La fin est imminente.

 Texte essentiellement de Frozen Crow, auquel Frère Taupe A porté une modeste contribution, et minimalistement corrigé et justifié par moi.

Ils sont arrivés alors que tu prenais ta dernière pause, que tu grillais ta dernière clope. Tu n'avais pas entendu le bruit de l'hélico, pas plus que les annonces de la radio. La radio ? Tu travaillais chez un disquaire, quoi de plus rébarbatif pour écouter la radio ? Non. La seule chose que tu as entendue, c'est le bruits de milliers de pas et la clameurs de centaines de gorges. Et puis tu les as vu.

Enfin pas exactement.

Dans l'explosion de la grane City Tower, tu as vu se dessiner leurs traits, leur rage, leur faim. Et toi tu étais là avec ta cigarette, son bout rougeoyant, symbole renvoyant grotesquement de la grande tour qui brûlait à présent à quelques centaines de mètres de là. Le reste des tours prenaient feu, explosaient, vomissaient des torrents de fumée et quelques bureaucrate zélés par les restes de leurs magnifiques baies vitrées soi-disant incassables. Ce n'était plus la confusion, c'était le chaos. Tout devenait fou. Les papiers de dossier formaient des arabesques étranges dans les airs, comme si une pluie rougeoyante s'abattait sur la ville. La lune elle même était rouge, enveloppée par la fumée et semblant un oeil macabre rougi par la chaleur des feux de joie.


Tu pris conscience de tout ça le temps de quelques battements de coeur, le temps de relâcher un dernier souffle de fumée argentée. La pauvre affiche de concert battait dans l'appel d'air que faisait la tour d'en face en brûlant. Tout avait commencé à la City Tower, et maintenant ils étaient là.

Tu observas pendant un instant leurs visages ravagés, leurs poings serrés, leurs corps anémiés. Il n'avaient pas vraiment de chance. Tu ne valais guère mieux, avec tes habits usés, mais au moins tu avais un job. Eux tous ce qu'ils avaient, c'était leur rage, leur faim et de quoi faire péter le monde en cocktails déconseillés à la vente. Tu les jaugeas d'un regard qu'ils te rendirent. Tu te dis soudain que tu ne verras sans doute jamais ce concert. Lentement, la cigarette entama une chute lente de tes doigts devenus subitement tremblants. Tu eus le temps de détailler, avec une inhabituelle acuité,  chaque infime variation sur le filtre, la clarté orange et rouge, promesse de chaleur et de délice, le tabac se noircissant; tu eu le temps de humer l'odeur de tabac que tu n'appréciais même plus mais que tu subissais pourtant. Tu eus le temps de la voir s'éteindre avec un grésillement dans le caniveau sale, à côté d'un emballage de hamburger et d'autres mégots.
La, la palissade humide explosa.



Ta vraie mère, ça faisait longtemps qu'elle était partie, emmenant ton petit frère avec elle. Papa avait dit qu'il la rejoindrais tôt ou tard. Dommage, tu aurais bien aimé faire la connaissance de ton petit frère. Mais du coup, tu ne pouvais pas réellement prétendre avoir de la peine à voir le petit tas sanguinolent qui avant était celle que tu devais appeler " Maman". Les messieurs n'avaient pas fait dans la dentelle, mais tu te souvenais avec assez de précision les sévices que cette femme belle et sadique t'avait fait subir. On est puni par là ou l'on pêche.

Par contre, tu t'attristas beaucoup plus de la disparition de ton chien. Mais après avoir passé tout ce temps dans le grenier, ce n'était plus vraiment grave. Tu avais endossé la solitude comme une seconde peau, tu n'avais plus rien a craindre de ces ténèbres qui t'avaient accueillies, choyées, protégées, plus que n'importe qui. La porte d'entrée était grande ouverte. Les fenêtres en morceaux. Les morceaux de verre jonchaient la moquette du salon, un peu comme du sucre glace sur un gâteau géant. Il y avait des traces de sang sur les murs, et çà et là des traces de coup. Celle qui avait été ta belle-mère gisait dans sa robe de chambre préférée. Tu n' eus aucun mal à résumer la situation. Les messieurs étaient venus de la ville quand celle-ci s'était transformé en feu de bois pour une beach-party mondiale, et avait pensés s'arrêter tailler un brin de causette à la maison. mais ' Maman' n'avait pas été gentille et ils l'avaient puni, en prenant l'argent, les bijoux et la vie de cette pauvre femme. Et te laissant seul. Où était papa ? Quelque part avait-il dit ?

" Les choses se mettent en branle, Josh, je suis obligé d'aller au QG, je reviendrais".

Enfin, il ne te l'avait pas dit a toi mais à celle que tu devait appeler ' Maman'. Il ne l'appelait jamais "Chérie " ou " Mon amour " comme dans les films, mais toujours "Josh'". Alors que, tu en étais sûr, il appelait toujours maman " chérie". Toujours est-il que ce soir il était encore plus impressionnant que jamais avec sa jolie casquette et sa rangée de pin' s brillant sur le torse. Dans son uniforme.

Bien sur, le QG tu connaissais. C'était quelque part vers les grandes tours toutes sombres à présent. De la ou était venu les messieurs. Peut-être qu'ils connaissaient papa ? tu leur demanderais la prochaine fois. En attendant tu te préparais avec soin, comme si tu allais dans le jardin. Bonnet, écharpe, parka. Tu n'étais jamais allé dans le jardin, mais tu avais rêvé ce moment toute ta vie. Mais là.. Que mettre ? Une lampe de poche ? il y avait toujours la lampe à pétrole au grenier, mais Papa en avait toujours une, à côté de son pistolet à bouchon préféré. Tu trouvais papa un peu bête a son age d'avoir un jouet pareil mais c'était papa. Après un temps de réflexion, tu le pris. ça ferais plaisir a Papa de voir que tu avais pris son joujou préféré.
Peut-être qu'il serait moins fâché du fait que tu sois sorti. A cette pensée, tu tournas la tête vers la grande porte de la villa. Dehors, la nuit était sombre, et la lune toute rouge. Tu frissonnas. En fait, tu avais beaucoup imaginé ta première sortie, mais c'était surtout une belle journée, dans le jardin, avec Chien et Papa.

" Quand tu seras plus grand "

T'avais dit un jour " Maman". Et bien, maintenant, tu étais grand. A douze ans, tu pouvais bien affronter le dehors.


et la fête avait l'air drôlement bien du côté des tours sombres.


Nous n'avions rien vu venir. Bien calfeutrés dans nos fauteuils en cuir, derrière nos bureaux de service municipaux, avec sous les yeux un écran ou un bloc-note. C'est arrivé d'un coup, d'un seul. Ils sont arrivés par la porte de derrière. Certains hurlaient des slogans, d'autres brandissaient de macabres trophées; il nous semble que l'un deux portait une tête de fillette dans sa main gauche. La panique se prit immédiatement du service de répartition des énergies électriques de la mégapole : ces enragés savaient ce qu'ils faisaient, où ils frapperaient d'abord pour permettre au reste de la troupe de se déplacer à sa guise dans le noir des ruelles de l'ancienne ruche privée d'éclairage. Nous courûmes, tant que nos jambes purent nous porter. Ils nous suivaient de près, mais sans arriver à notre niveau. Ils ne voulaient pas. Ils gardaient toujours la même distance. Lorsque l'un de nous flanchait, il était vite rattrapé et disparaissait dans cette mer de corps et de bras, de jambes et de têtes. Ils n'en ressortiraient jamais, ou alors complètement différents.

Devant la meute hurlante qui se pressait derrière nous couraient d' innommables horreurs, bavant, crachant, proférant borborygmes et gargarismes atroces, qui partageaient une constitution génétique proche de l'être humain, probablement. Après plusieurs siècles de réclusion dans les banlieues/ruches, la working-class avait eu tout le temps de développer à loisir les plaisirs de l'inceste, et aujourd'hui elle mettait à profit ce qu'elle avait toujours considéré comme une peste, une gangrène la rongeant de l'intérieur. Nous réussîmes pourtant à nous cacher, dans les sous-sols du bâtiment. Connaissant très bien l'endroit, pour y travailler constamment, Exale nous menait à travers les conduits d'égouts, évitant les passages qu'elle savait risqués, s'arrangeant pour mettre le plus de distance possible entre nous et la mort, sous la forme de cette grouillante masse hurlante et vociférante.

Nous sommes maintenant dans une alcôve, en hauteur, au-dessus du plafond. Nous nous sommes faits la courte échelle, mais Georges, après avoir fait monter Marthe, a disparu. Nous ne pouvons plus descendre, la profondeur du sol au plafond est trop importante, et aucune prise ne permettrait d'amortir notre chute. Il n'y a pas d'issue. Georges nous a peut-être piégés. Il est peut-être allé informer la masse de notre emplacement, sachant que nous ne pouvions descendre. Ou bien peut-être que quelque chose rôde dans l'eau trouble de ces conduites? Peut-être qu'ils sont simplement déjà là, derrière nous, prêts à nous sauter dessus? Nous ne savons rien, camarade. Nous attendrons. Nous le savions. Nous n'avons pas été capables d'être prêts. Ils sont partout. Ils arrivent...


La première chose à te frapper vu le mur hurlant et grouillant de cris et d'injures, mêlés de gémissements bestiaux et de borborygmes incompréhensibles. Puis ce fut une pierre, heurtant violemment ta tête, qui t'envoya rejoindre ta cigarette qui finissait de se consumer. Alors, tu les vis. Ceux de l'autre côté de la rue, ce n'était pas les pires. C'était ceux qui fuyaient. Alors ils fuirent, et "Ils" avancèrent, courant, rampant, claudiquant... Tu n'étais plus une cible, tu étais là, allongé sur le sol, et eux couraient, ça excitait leur instinct prédateurs, ces... Choses n'étaient plus qu'a peine humaine.

Alors, ils te passèrent dessus.

L'enfer de Dante, les tableaux de Bosh, c'était de la rigolade a côté de ça. Des dessins d'étudiante. Car ces ... choses étaient réelles, et tu sentais leurs odeurs, tu sentais leurs corps aux muscles horriblement émaciés ou vaguement dessinés, tu voyais des mères ravagées, des enfants aux dents pointues, et tu voyais ça et là, du sang, des bouts d'os. Ils avaient faim.. Et ils avaient cessé depuis longtemps d'être gastronome. Déjà des morceaux de corps disparaissaient dans des gosiers, dans d'horribles bruits qui dans ton état semi-comateux, résonnaient à tes oreilles comme le tonnerre, promesse de milles morts horribles et lentes...

Mais ils passèrent sur toi sans te voir. Ils avaient fait bombance, et les premiers n'étaient plus affamés que de colère, et n'avaient soif plus que de vengeance. On les avait laissés tomber, dans leurs grandes usines, dans leurs grandes cités d'acier et de pétrole, dans leurs enclos de feu et de violence, et ils revenaient de cet enfer pour le porter aux autres. Medrock City n'était pourtant pas la pire.

Pour eux, si.

Les images se mirent à se stroboscoper dans ta tête, tu ne voyais plus que des morceaux brefs d'horreur, comme un cauchemar qui s'évapore dans le petit matin. Ici une chevelure tachée de sang masquant un visage boursouflé. La un morceau de biceps disparaissant dans le sourire pointu et diabolique d'un gamin. Ils étaient des centaines, et ils passaient comme un océan hurlant de colère et de haine envers ce monde. Ils brulaient tout une dernière fois, et eux avec. Tes yeux se fermèrent doucement sur la rue, ou le vieux néon crépitant avait perdu de son éclat au profit de l'immense feu de joie qui commençait à faire de cet endroit le four chaud de l'humanité. Ce feu semblait si chaud...

Tes yeux se fermèrent malgré toi.


Tu les rouvris bien vite. La morsure du couteau était froide et brûlante dans ton ventre. tu ne sentais pas la douleur. Ca viendrait. Ils avaient tous disparu, tous sauf un gosse aux membres semblables à des bâtonnets, au visage ravagé par la vérole, aux yeux fous et à la bouche avide. Il venait de planter un couteau dans la masse sombre que tu faisais sur le trottoir, enveloppé dans les pans de ton manteau de cuir. Seul lui avait vu que tu étais, seul lui avait assez faim et assez d'esprit pour vouloir une part maintenant. Mais il avait mal calculé son coup. L'adrénaline remplit brusquement ton corps, tu oublias subitement toute fatigue, et lui asséna un formidable coup du droit. L'arc de cercle était parfait.
Ses vertèbres craquèrent, et son petit corps sans vie s'affala sur le trottoir, près de la boite de hamburger.

Tuer ou être tuer.

La loi n'avait plus court cette nuit, et tu venais de le prouver.
Tu essayas tant bien que mal de se relever. A peine t'étais tu redressé que le sang se mettait à jaillir de ta blessure et que tu t' effondrais, les yeux dans le vague. Quelle sensation innommable que celle de voir ta vie jaillir de toi a bouillon. Tu étais là, dans la rue, en train de te vider de ton sang, mourir lentement. Cette mort que tu acceptais quelques instants plus tôt, tu la repoussais à présent.

Non, Non...

Tu avais encore des choses à faire, des choses à voir. Tu pensais à la lettre dans ton vieil appartement, tu pensais à ce gars dont tu ne savais rien. Mais qui savait beaucoup de chose. Tu n'avais pas voulu l'écouter, tu étais venu, tu étais en train de payer. Tu voulais te battre pour le retrouver. Avoir des explications sur cette violence, cette... ça.

Ta vue se brouilla, tes sens se mirent a faire des appels de détresse. Tu partais. Tu eus juste le temps de voir une forme indéfinie se pencher sur toi. Encore un, venu t'achever. A l'idée que tu puisses finir dans le ventre de ces choses, un éclair de lucidité te revint, te permettant de détailler l'étrange fille qui se tenait au-dessus de toi. Elle pleurait, dans son uniforme d'infirmière. Ce n'était pas l'une d'entre elles.

Et là, tout devint noir. 

Le service de secours, accompagnés des forces armées nationales, était arrivé trop tard. La ville n'en était plus une. "Patrimoine historique", avait plaisanté le sergent Rynart. Fustigé du regard par tous les membres de l'hélico qui venaient de perdre une fille, un soeur, une cousine, une amoureuse... Les médecins s'affairaient, mais les mathématiciens du service de sécurité avaient été formels: suite à la violence de l'attaque, les chances de retrouver plus de 10% de la population Medrockienne en vie étaient inférieures à celles de voir un jour la pollution ambiante disparaître. Leurs dire se réalisaient. Seuls quelques lambeaux de chair et autres traces d'hémoglobine sur les murs témoignaient que la vie avait été dans cette Ruche. Où étaient-ils tous passés? Les quelques bâtiments en durabéton qui avaient résisté à la brutale montée de chaleur se dressaient encore au milieu de la ville, tels des monolithes témoins du massacre qui venait de se produire, et qui ne parleraient jamais, murés dans le silence d'avoir vu de telles horreurs.

"J'en tiens un!"

Un jeune infirmier venait d'en trouver un. Un médecin ainsi qu'un employé du service de recensement/classement des naissances/décès ( RCND ) accoururent, pour voir de quoi il s'agissait. Joie pour l'un, déception pour l'autre. Ce n'était pas un monstre à étudier, mais un corps humain à identifier et à classer.

"Il respire"

Continua l'infirmier, tournant un regard plein d'espoir vers le médecin. Le boulot changea de main. Grommelant, l'employé de la RCND s'éloigna, donnant des coups de pied dans tout ce qui traînait par terre. Kurt, le médecin allemand, se pencha sur l'homme et prit son pouls.

"Ja, er lebt. Aber, du sollste dich nicht zu frohen. Es gibt nicht viele probabilität für dieses Mann zu leben."

L'infirmier avait compris le message. Ne jamais trop espérer. Les fausses joies à répétition détruisaient le personnel. Handberg sortit de sa sacoche des bandelettes de gaze, des ciseaux, et une pince accompagnée d'un scalpel. Dégageant l'homme de son imperméable bleu marine, il ouvrit des grands yeux bleus d'étonnement:

"Mein Gott..."

Kurt n'avait sûrement jamais rien vu de comparable. Il manquait à cet homme tout le flanc gauche, et ses entrailles s'étaient vidées dans son manteau. L'odeur chaude et nauséabonde s'insinua dans les narines du médecin. L'odeur de la mort. Cet homme ne vivait plus. Mais alors, qu'est-ce qui...

Se retournant vers l'infirmier, il vit ce dernier, sous ses yeux, arracher la peau de son visage, découvrant une chair grise et flétrie, un crâne pratiquement mis à nu, et se débarrasser de l'enveloppe charnelle du pauvre homme qu'il avait écorché pour se cacher. Kurt, reculant de dégoût et de terreur, trébucha sur le macchabée derrière lui. Tombant , sa tête frappa le goudron du trottoir. Des étoiles partout... des étoiles... un visage atroce... Il eut la présence d'esprit de décrocher le revolver d'appoint qu'il portait à la ceinture, et de loger plusieurs balles à bout portant dans le corps du monstre. Il sentit son haleine pestilentielle quand ce dernier expira face à son visage.

Kurt resta là pendant quelques minutes, le temps que la douleur s'estompe, et se dégagea sans difficulté du corps de l'horreur, maigre et malingre comme on aurait du mal à l'imaginer. S'agenouillant au milieu des cadavres, il vomit. La violence était vraiment quelque chose d'inutile. De répugnant. D'inhumain.

Se redressant, il promena son regard autour de lui. Au loin, les sirènes des voitures de Gendarmerie résonnaient encore.

Ils étaient partout. Cachés. Ils connaissaient cette ville comme leur poche. Ils pouvaient être n'importe où.

Kurt fut pris d'une peur qui s'approchait de la panique. N'eût été son revolver, il se serait assis là en attendant la mort. L'Homme est bien peu de choses. Dépendant de sa technologie pour survivre, et quand cette dernière prend le pas sur le bon sens, les exploités ressurgissent.

Ils sont là. Ils sont. Dans une ville comme celle-ci, ils existent, et ça résume leur condition.
Cette cité leur appartient, désormais.


Contre de tels adversaires, il n'y avait pas d'espoir.

Kurt pleurait.

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